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21/11/2025

Parole de Designer Vladimir Markovic, Royère


Pour ce nouvel épisode de Parole de Designer, nous avons eu la chance et le privilège d'interviewer Vladimir Markovic, petit-neveu du compagnon du décorateur Jean Royère, disparu en 1981.

Dans cet entretien, Vladimir revient sur le lien intime et familial qui l’unit à Jean Royère et sur la manière dont il s’attache aujourd’hui à faire vivre l’héritage du grand décorateur. Entre fidélité à une sensibilité unique, exigence artisanale et réinvention contemporaine, il révèle les enjeux d’une création qui refuse la nostalgie pour privilégier la continuité. Il y évoque également la relation essentielle avec les artisans et la genèse d’Ateliers éphémère, une expérience immersive destinée à rendre visible la part invisible du savoir-faire.

Bonjour Vladimir et merci de nous accorder cet entretien. Pour débuter cet échange, pourriez-vous nous présenter votre parcours ainsi que le lien intime qui vous unit à Jean Royère ?

“J'ai grandi dans la maison de mon grand-oncle, conçue comme un hommage à l'une des maisons préférées de Jean, et je pense que cette atmosphère m'a façonné bien avant que je m'en rende compte. Mon grand-oncle Micha, le compagnon de toute une vie de Jean, m'a naturellement transmis l'essence de l'esprit de Jean. Je me souviens très bien de Jean lors de ses fréquentes visites à ma famille à Santa Barbara. Une rencontre lors d'un dîner familial m'a particulièrement marqué : j'ai croisé son regard et j'ai senti une inquiétude silencieuse. Il était au crépuscule de sa vie et, avec le recul, je pense qu'il réfléchissait profondément à la manière dont son héritage continuerait à vivre et à être apprécié par les générations futures dans un monde en constante évolution.

Comme Jean faisait profondément confiance à ma famille, je pense qu'il estimait que la continuité de son œuvre pourrait d'une manière ou d'une autre se perpétuer à travers nous. Ce sentiment est devenu le moteur de ce que nous faisons aujourd'hui. Pour ma part, j'essaie simplement de poursuivre ce qui a commencé entre Jean, Micha et ma famille, avec honnêteté et respect pour son ADN.”

Comment conciliez-vous l’esprit et l’héritage de Jean Royère avec les exigences du marché actuel dans la réédition des modèles emblématiques ?

“Beaucoup des pièces de Jean Royère résonnent fortement aujourd’hui, et l’on voit des designers contemporains, consciemment ou non, s’inspirer de son travail. Sa carrière a duré plus de quarante ans, et nombre de ses premières idées sont réapparues tout au long de sa vie, évoluant à mesure qu’il explorait de nouveaux motifs, de nouvelles proportions et de nouvelles constructions.

Recréer ses créations emblématiques aujourd’hui consiste à transmettre un esprit. Le défi est de rester fidèle à la sensibilité de Jean tout en inscrivant les pièces dans un contexte contemporain qui leur permette de revivre. Nous ne croyons pas à la nostalgie. Notre objectif est la continuité, respecter l’ADN de l’original tout en comprenant la façon dont les gens vivent aujourd’hui.

Tout commence avec les archives : dessins, photographies, proportions, matériaux et intentions, comprendre ce que Jean cherchait à exprimer avec chaque pièce, son intention. À partir de cela, nous devons déterminer comment produire la pièce, en restant concentrés sur cette intention, qui guide tous nos choix. Nous remettons en question le confort, la durabilité et les besoins des intérieurs contemporains. Jean lui-même était un innovateur qui collaborait avec des artisans exceptionnels, ce qui nous donne la légitimité et la responsabilité d’innover à notre tour, en travaillant à partir de la forme créée par Jean, en utilisant notre expérience pour améliorer le confort, la construction et la durabilité.

Pour honorer son travail pionnier, nous recréons ces pièces avec le plus haut niveau de savoir-faire, suivant l’exemple qu’il a donné. Cela signifie travailler avec des artisans remarquables, maintenir des standards exigeants, et produire entièrement en France, où ce savoir-faire perdure.

Nos pièces conservent la générosité, la douceur et l’esprit joyeux qui définissent Royère : une évolution naturelle de la production historique. En fin de compte, le véritable défi n’est pas le marché ; c’est l’intégrité. Lorsque nous restons fidèles à l’intention de Jean et collaborons avec des artisans et des designers qui comprennent cette sensibilité, les pièces trouvent naturellement leur place aujourd’hui. Le bon design, lorsqu’il est abordé avec honnêteté, ne vieillit pas. Il évolue.”

Selon vous, qu’est-ce qui rend l’esthétique de Jean Royère intemporelle ?

“L’esthétique de Jean Royère transcende le temps parce qu’elle n’a jamais été guidée par la mode. Il n’adhérait à aucune école ni à aucune tendance, il suivait son intuition, créant pour lui-même et directement pour ses clients. Ses pièces se suffisent à elles-mêmes tout en dialoguant les unes avec les autres lorsqu’elles sont réunies, reflétant son rôle de décorateur ensemblier.

Son sens des proportions, ludique, légèrement surdimensionné ou étonnamment petit, capte l’attention. Ses pièces redonnent aux adultes un regard d’enfant, invitant à la curiosité et à un sentiment de vitalité. Leur attrait durable découle non seulement de leurs formes, mais aussi des émotions et des qualités qu’elles éveillent à travers leur usage.

Il a créé des pièces dotées d’une véritable présence, porteuses de chaleur et d’émotion sans jamais s’imposer. Elles vous accueillent, ouvrant la porte à un monde où tout semble silencieusement, élégamment possible. Les matériaux naturels et les techniques artisanales vieillissent avec grâce lorsqu’ils sont faits avec sincérité, et le langage de Royère s’adapte naturellement aux différentes époques sans perdre la moindre part de son essence.”

Quel lien entretenez-vous quotidiennement avec les artisans d’art ?

“Nous collaborons avec des artisans chaque jour. Chaque pièce que nous créons est réalisée par un artisan ou un atelier différent : la tapisserie à Lyon, les pièces de grande échelle avec Jouffre, et les prototypes et chaises dans notre propre atelier. Nous travaillons également la marqueterie de paille, le bois, le métal, et nous fabriquons nos propres abat-jour en papier japonais. Nous produisons nos propres tissus en France, avec des fibres d’alpaga pour créer des velours profonds et somptueux, et nous les teignons dans une multitude de couleurs historiques extraordinaires avec l’aide de maîtres-teinturiers.

Nous intégrons aussi des savoir-faire traditionnels dans notre communication de l’impression typographique au risograph en passant par la photographie argentique afin de créer un univers artisanal complet autour de nous et de soutenir le plus grand nombre possible d’artisans.

L’un des aspects les plus importants de notre travail est de préserver, maintenir et valoriser le savoir-faire français. Des artisans d’exception travaillent encore en France, mais leur savoir ne perdure que s’il est estimé et soutenu. Limiter ces compétences aux pièces historiques serait trop restrictif. Pour nous, il est essentiel d’appliquer des techniques traditionnelles à une production contemporaine, afin de garantir que ce savoir reste pertinent, vivant, et capable d’établir un nouveau standard d’excellence grâce aux matériaux naturels et au fait-main.”

Cela fait maintenant plusieurs années que nos équipes ont l’honneur de travailler sur vos pièces. Qu’est-ce qui vous a conduit à choisir notre atelier et à faire confiance à nos tapissiers pour la réalisation de vos ouvrages ?

“Nous avons décidé de recréer toutes les pièces en France, car la tradition du savoir-faire y est profondément et naturellement ancrée dans la culture. Mais même ici, il existe aujourd’hui peu d’ateliers capables de produire des pièces de tapisserie en utilisant des techniques traditionnelles tout en étant prêts à innover et à maintenir un niveau d’excellence constant. Les pièces doivent rester faites à la main et uniques, tout en répondant aux standards de qualité et de régularité exigés aujourd’hui. Trouver des partenaires capables d’atteindre cet équilibre était essentiel et Jouffre était l’un des rares ateliers en mesure de le faire.

Leur ouverture, leur précision et leur dévouement ont été déterminants alors que nous redécouvrions lentement comment ces pièces se construisent de l’intérieur vers l’extérieur. Royère a créé un langage qui ne peut pas être reproduit mécaniquement ; il doit être compris. Lorsque nous avons commencé, aucun de nous n’avait la “recette” complète. Il a fallu de la patience, du dialogue et une curiosité partagée pour reconstruire ce savoir. Jouffre a abordé ce processus avec sincérité et un véritable désir d’apprendre, d’observer et de redécouvrir la manière dont ces pièces doivent être fabriquées. C’est cette combinaison de maîtrise et d’humilité qui a construit, au fil des années, une confiance mutuelle, rendant notre collaboration à la fois naturelle et fluide.”

Pourriez-vous nous présenter l'événement “Ateliers éphémère”, organisé en collaboration avec nos ateliers dans votre galerie new-yorkaise ? Quels sont les enjeux et les intentions derrière cette expérience immersive ?

“Parce qu’il est difficile d’expliquer avec des mots comment nos pièces sont fabriquées, nous avons senti que la manière la plus directe était de montrer le processus lui-même. Nous voulions également planter une nouvelle graine dans notre galerie de New York en ne présentant pas seulement des pièces finies, mais en les construisant depuis zéro dans l’espace. Avec l’Atelier Jouffre, nous avons fait venir des artisans de Lyon pour démontrer leurs techniques en direct, révélant la construction, le rythme et la précision derrière chaque pièce.

L’objectif était de montrer l’invisible, d’honorer les artisans et de reconnecter le public à l’idée que l’excellence est un processus vivant, et non seulement un objet final.”

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